maison   ayahuasca

Un hallucinogène au secours des drogués
COURRIER INTERNATIONAL N° 595 DU 28 MAI AU 5 JUIN 1998
PAGINA 12 - Buenos Aires

    


L'ayahuasca est une plante sacrée pour les Indiens d'Amazonie. On lui a également trouvé des vertus pour soigner alcooliques et héroïnomanes.

Imaginez un hallucinogène qui, loin de provoquer la moindre addiction, serait utilisé en Europe pour soigner alcooliques, cocaïnomanes et héroïnomanes. Il existe : c'est l'ayahuasca, fruit des cultures indiennes d'Amérique, boisson prisée par les poètes maudits américains qui, dans les années 60, allaient jusqu'au fin fond de la forêt amazonienne pour la consommer. L'Europe, les États-Unis et le Japon s'ouvrent aujourd'hui aux nouvelles religions latino-américaines qui considèrent l'ayahuasca comme un breuvage sacré et un instrument de méditation. L'anthropologue colombien Luis Luna a passé vingt-six ans de sa vie à l'étudier. Il explique : «Sur les rives de l'Amazone, au Pérou, au Brésil et en Équateur, l'ayahuasca est une plante maîtresse. On l'utilise pour étudier les propriétés thérapeutiques d'autres végétaux : pour ce faire, on prend un échantillon de la plante à étudier, on l'ajoute à l'ayahuasca et on étudie comment varient les visions de celui qui ingère le mélange. On en déduit ensuite les utilisations possibles de cette plante». Les populations indigènes affirment qu'«avec l'ayahuasca elles entrent en contact avec l'esprit de la plante qu'elles veulent connaître : l'esprit se manifeste et leur dit à quoi elle sert».

L'ayahuasca a aussi des effets thérapeutiques directs, «notamment sur es maladies psychosomatiques,précise Luna. Elle aide à rechercher la cause sociale ou individuelle du mal et permet d'envisager un changement d'attitude». C'est grâce à ces propriétés qu'elle est utilisée lors de cures de désintoxication pour alcooliques et cocaïnomanes. Au Pérou, elle est employée par l'Institut Takiwasi, un établissement dirigé par le médecin français Jacques Mabit et financé par l'Union européennne. Aux Pays-Bas, on a recours à l'ayahuasca pour soigner les héroïnomanes. «Son efficacité tient à une prise de conscience, à une meilleure connaissance de soi», explique l'anthropologue. Une substance aussi fascinante ne risque-t-elle pas de provoquer elle-même une addiction ? «En général, cela n'arrive pas, répond Luna. L'ayahuasca a un goût très désagréable et provoque souvent vomissements et diarrhées. Ce n'est pas une chose que l'on prend pour le plaisir. De plus elle peut engendrer des expériences profondes, et notamment des sensations de mort, de mutilation. Elle oblige à affronter ses propres peurs, ses fantasmes». A propos de son expérience de l'ayahuasca en Amazonie, le poète Allen Ginsberg écrivait d'ailleurs : «Autour de moi, le cosmos était devenu fou : c'est l'expérience la plus forte et la plus terrible que j'ai vécue». «C'est pourquoi il est essentiel que quelqu'un soit là pour aider et guider la personne durant l'expérience», poursuit Luna. Dans les tribus, le "voyage" est conduit par un chaman et comprend des chants. «Lorsqu'on est perdu parmi des formes, des silhouettes, des êtres à la fois étranges et familiers, on ressent parfois une très grande angoisse. Et le chant permet de ramener la personne sur la terre ferme ou de provoquer des expériences transpersonnelles, au cours desquelles plusieurs personnes ont les mêmes visions», rapporte l'anthropologue.

Au Brésil, trois grands courants religieux chrétiens ont adopté l'ayahuasca comme breuvage sacré et l'utilisent pour méditer sur ses effets. «L'un d'eux l'União do Vegetal, a connu un grand essor parmi les classes moyennes : architectes, psychologues, journalistes, avocats. Ceux-ci ont assez de poids dans la société pour empêcher les tentatives de criminalisation. L'ayahuasca reste donc légale». Ces religions se sont étendues aux Pays-Bas, à l'Espagne, à l'Autriche, au Japon et aux Etats-Unis. Luna, qui est professeur à l'université de Santa Catalina (à Florianópolis, Brésil), envisage de «monter des ateliers avec des scientifiques et, sous l'effet de l'ayahuasca, [de] se concentrer ensemble sur un problème à résoudre : il s'agirait d'utiliser cette substance comme un instrument, comme un microscope».

Entre-temps, «un certain Loren Miller a breveté aux États-Unis l'usage de la Banisteropsis caapi comme anti-dépresseur. C'est une insulte aux Indiens d'Amazonie : pour eux, l'ayahuasca est une forme de sacrement. C'est comme si l'on brevetait l'Eucharistie, a dit l'un d'entre eux», sourit l'anthropologue. A une époque où l'on dépose des brevets sur les breuvages sacrés, les communautés indigènes auxquelles on doit l'ayahuasca survivront-elles ? «Personellement, je suis optimiste, répond Luna. Beaucoup d'ethnies se développent, préservent leur langue, possèdent leur propre publications et stations de radio. Et l'ayahuasca est un facteur de préservation, parce que, sous son influence, elles visualisent leurs propres légendes. Celui qui croit à une divinité la verra apparaître et se convacra ainsi de son existence réelle. Cela renforce donc les fondelents de sa culture».

Paéro Upcovich


La boisson qui donne des visions

L'ayahuasca est une préparation à base de deux plantes : la Banisteropsis caapi et la Psychotris viridis. Son nom varie beaucoup selon les tribus (yajé est une autre appellation très connue). Ayahuasca est le nom quechua, formé à partir de huasca, la liane, et de aya, les esprits , les ancêtres disparus. On connaît aujourd'hui le mécanisme d'action de ce cocktail consommé sous forme de boisson : la Banisteriopsis contient un alcaloïde qui agit sur le système nerveux central. Seule, cette plante n'aurait cependant aucun effet, car son principe actif serait détruit par l'une des enzymes de l'appareil digestif. Les indiens ont découvert que la Psychotris inhibait l'action de cette enzyme. Outre son rôle antidépresseur - elle stimule la production de sérotonine -, l'ayahuaasca provoque surtout des visions, qui varient d'une personne et d'une culture à l'autre, mais présentent certains motifs récurrents : «les vipères, même chez les gans de culture urbaine, et les villes, même chez des habitants de la forêt qui n'ont jamais vus une ville de leur vie», explique l'anthropologue Luis Luna. Les visions obtenues sous ayahuasca jouent un rôle essentiel dans les arts plastiques des populations indiennes d'Amérique.

Pagina 12 - Buenos Aires


Grenouille Grenouille
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