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2ème PARTIE
LA BOISSON : AYAUASCA, DAÏME, IAGE, VEGETAL, 
KAMARAMPI, HONIXUM, WOTEMA

Les substances chimiques de transformation et de révélation qui ouvrent les circuits de lumière de la vision et de la communication, que nous appelons des manifestations du mental, étaient connues des indiens américains comme des substances médicinales et étaient les moyens qui donnaient à l'homme le pouvoir de guérison, de se connaître, de voir et de dire la "vérité".

(Mumm Henry, 1975:96)

D'après Claudio Naranjo en "Pyshotropic Properties off the Harmala Alcaloïds (1979:385-391), les découvertes récentes de substances liées aux alcaloïdes de l'harmala (harmina, harmalina et harmalo) - sont d'extrême importance, car elles existent chez les animaux au sang chaud. Ces substances provenant de l' "indolptriptamina" sont en rapport avec un facteur neuro-humoral, la sérotonine dont le rôle en biochimie est régulateur du système nerveux central.

Naranjo a fait diverses observations à partir d'expériences réalisées avec des volontaires. Beaucoup parmi eux, après l'ingestion de ces substances, se couchaient pour une durée de quatre à huit heures. Ils présentaient un état de relaxation dans lequel ils ne se sentaient pas inclinés à mouvoir un seul muscle, ni même à parler. D'après cela, Naranjo trouve difficile de comprendre comment les sociétés indigènes s'engagent dans la danse et même dans la bataille sous les effets de cette boisson (idem: 1930). Sur ce point, nous avons pu observer que les propriétés de cette substance tracent les caractéristiques biochimiques pour engendrer symboliquement un réseau de signifiants liés aux traditions culturelles de l'endroit où elle est prise.

Furst (1976) observe : "A part ses simples effets biochimiques, d'après certains caboclos, la disposition du mental, la culture de 'utilisateur et son groupe social , déterminent en première instance la nature de l'intensité de l'expérience extatique ainsi que la manière dont cette expérience sera interprétée".

Levy-Strauss, dans l'introduction a l'œuvre de Marcel Mauss, "Sociologie et Anthropologie" (1974:4)affirme : "Personne en réalité n'aborda cette immense tâche dans laquelle Mauss signalait un besoin urgent, à savoir, faire l'inventaire et la description de tous les usages que les hommes ont faits et continuent de faire au cours de l'histoire, partout dans le monde, de leurs corps. Nous collectionnons les produits de l'industrie humaine, nous recueillons des textes écrits ou oraux mais nous continuons d'ignorer les possibilités les plus nombreuses et les plus variées du corps humain. Exception faite pour celles toujours partielles et limitées qui font partie de notre culture particulière.

Néanmoins, tout ethnologue ayant travaillé sur ce terrain sait selon les groupes sociaux que ces possibilités sont surprenantes et variables. Les seuils d'excitabilité, les limites de résistance sont différents pour chaque culture, l'effort "irréalisable", la douleur "insupportable", le plaisir "indicible" sont des critères sanctionnés davantage par l'approbation collective qu'en fonction de particularités individuelles. Chaque technique, chaque comportement appris et transmis s'appuie sur certaines synergies nerveuses et musculaires qui constituent de véritables systèmes solidaires de tout contexte sociologique.

La dimension inconnue, provoquée par le breuvage telle que 1'illumination, la concentration, met à la surface les seuils perceptifs sensoriels et psychiques de l'être humain, ordonnés par la culture sous forme d'un rituel exprimé à travers de multiples agents (boisson, danse et cantiques sacrés).

L'utilisation du thé dans des nonnes rituelles établies, au lieu de mener le système vers l'anomie, vers l'anti-structure, fortifie sa structure, si nous retenons la pensée de Turner qui voit la vie sociale comme une tension entre l'anti-structure (communitas) et la structure (societas).

Il est important d'éclairer notre compréhension au sujet de cette substance. Il est certain que, considérer ce breuvage comme un toxique serait avoir une vision très étriquée et bien lointaine du sujet. Turner est sûr de nous aider à comprendre son utilisation car elle comporte des éléments socio-symboliques, corroborés par l'approbation collective.

La possibilité de modification, des états de conscience déchaînés par cette potion, aussi bien que son apparat symbolique culturel lui prêtent un statut important et sacré, lié aux puissances invisibles et culturelles.

Ce rapport sur le plan sacré est un rapport de pouvoir établi selon des nonnes de commandement et d'obéissance. Les entités supérieures ordonnent et commandent la vie des fidèles, eux-mêmes accordant du pouvoir à ces êtres qu'ils rencontrent après l'absorption de la boisson et qui trouvent ainsi leur façon de se manifester matériellement.

Luis Eduardo Luna, de la Swedish School of Economics, Helsinski, Finlande, fait allusion à ces plantes, aux éléments bio-dynamiques, comme étant des "Plants Teachers", il souligne la présence d'un être spirituel capable d'établir un dialogue avec l'homme (1984).

Le "Yage" est une plante qui a le pourvoir, la volonté, la confiance et avec laquelle nous pouvons nous envoler jusqu'aux étoiles, entrer dans les plantes, à l'intérieur des montagnes, dans l'esprit des gens, connaître leurs désirs, pratiquer soit le bien, soit le mal. Il est possible de prévoir aussi bien notre futur que celui des autres, de prévoir les maladies et les guérir. Avec lui nous pouvons aller au ciel ou en enfer". (Amérique Indigène, vol. XL VI: 171).

Le mot Caapi des indiens tupi (Para), d'après Von Hagen, cité par Naranjo (1938: 95), signifie " faire le vaillant". Naranjo soutient une autre interprétation: " il s'agit d'une feuille qui fait voler" (idem).

Furst signale que chez beaucoup de peuples, le banysteropsys est par excellence "la plante grimpante du chaman". C'est l'échelle qui l'amène au monde supérieur, c'est le moyen d'arriver à la transcendance. "Cette plante grimpante", déclara quelqu'un à Koch-Grümberg (1923:38) "contient le chaman et le jaguar".

Les "Tukanos" société indigène située au Nord-Ouest de l'Amazonie, dans la région du Vaurès, Colombie, d'après Dolmetoff, cité par Furst (1980/96/97), prennent le Yage dans le but de retourner à l'utérus, source et l'origine de toutes choses, où l'individu voit les divinités tribales, la création et l'établissement de l'ordre social par rapport aux lois de l'exogamie.

Ici nous constatons clairement que la culture s'articule avec l'usage de ces plantes enseignantes par lesquelles les modèles de cette tradition culturelle spécifique sont revécus et fortifiés.

SANTO DAÏME

J'affirme à celui qui veut l'entendre, que le Santo Daïme est sans aucun doute la potion qui a révélé à Maître Ireneu les secrets de la forêt ; peu à peu, selon la capacité de chaque frère, elle leur révèle les secrets de cette doctrine de l'Ordre de Juramidam.

Juramidam est l'esprit qui règne sur cet endroit. Il s'agit d'un esprit qui se manifeste à travers le liquide du Santo Daïme en fonction de la volonté, des désirs et des mérites de chaque frère. "Le Daïme est le plus grand maître, bien plus grand que n'importe quel gourou" (Alfredo Gregorio de Melo).

Le Santo Daïme est la résultante de l'union des plantes naturelles de la forêt amazonienne. La liane (cipo) est l'élément masculin et la feuille, l'élément féminin. La boisson est en partie nature (liane et feuille) et en partie culture (Juramidam).

Le mot Daïme a été reçu par Maître Irineu de la Reine de la Forêt. Ce mot, composé, du verbe donner et du pronom personnel, doit être considéré comme une demande : Daïme. Donne moi la force d'Être. Donne-moi la Lumière.

Nous pouvons noter les divers aspects de la boisson dans le cadre de cette doctrine religieuse. La boisson est sacrée. Son approche exige certaines précautions. Il s'agit d'un véhicule de communion entre des personnes et des êtres spirituels. La boisson est un sujet de vénération, de révélation et de connaissance. Elle peut être comprise comme un processus cognitif ouvrant les portes de l'auto-connaissance vers une dimension interne, une dialectique, dont elle est source et agent de connaissance. Nous pouvons la comparer au sacrement de communion dans la religion chrétienne.

La potion détient une valeur transcendantale. Elle est un support matériel revêtu de pouvoir symbolique et de cohésion puisque, autour de sa pratique, un rituel est structuré et ces rituels correspondent à des moments d'ordonnancement, menant le système entier vers sa structure, vers sa cohésion. C'est ce qui nous pouvons constater au cours du développement de ce travail.

Ce rituel atteint et articule des faisceaux pluri-relationnels, tant individuel que social. Cet attribut relationnel de la boisson impose à tous ceux qui l'utilisent un rythme d'attention, de concentration, de respect, de renoncement et de lâcher prise plus spécifiquement liés à sa préparation, ce qui implique également un interdit sexuel, une diète et une préparation intérieure (prise de conscience, entente avec soi-même), pour la "performance" rituelle. En raison de tous ces aspects, la boisson se prépare et est gardée dans un endroit qui lui est propre: "La petite "Maison du Daïme" qui joue un rôle important dans l'organisation de l'espace de la communauté. Les rapports sociaux en ces lieux ont une force symbolique particulière.

De plus, la boisson a un "corpus social" représenté par les fidèles (instruments) qui servent "de canaux", l'attestent et croient en elle. En tant que "canaux", ils témoignent de la présence d'êtres mythiques et d'entités enseignantes, appartenant au panthéon spécifique à chaque ligne du rituel.

Nous pouvons affirmer que cette substance a du mana- - catégorie inconsciente de la pensée collective, que Marcel Mauss(1974), a soulevée quand il a étudié le système de croyances mélanésien qui renferme une multiplicité de signifiés entre lesquels nous soulignons les suivants:

"Elle (la notion de mana) fonctionne comme une catégorie, rendant possibles les idées magiques, comme les catégories rendent possibles les idées humaines". (Mauss,(1974:147)

"Le mana est une chose, une substance, une essence maniable, mais aussi indépendante. Voilà pourquoi, il ne peut être manié que par des individus qui ont du mana dans l'acte, soit, par des individus qualifiés, et ce, pendant un rite"(idem: 130).

"Le mana est une force et spécialement la force des êtres spirituels, c'est à dire, les âmes des ancêtres et les esprits de la nature. C'est lui qui rend ces êtres magiques"(idem).

"Le mana... apparaît ici encore, comme une qualité donnée aux choses, sans préjudice de ses autres qualités ou, en d'autres mots, comme une chose superposée aux choses. Cet ajout est l'invisible, le merveilleux, le spirituel, et, en résumé, l'esprit, qui dans toute son efficacité est présent en toute vie"(idem: 141).

Pour en finir, la boisson est un remède utilisé, principalement contre les maux dont les causes sont de nature spirituelle et elle fonctionne aussi- comme un oracle.


Mana : Force circulant à travers toutes les choses et les êtres prééminents. 
Sociol : Puissance surnaturelle et principe d'action dans certaines religions.


      

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Grenouille Grenouille
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